_ par knut hamsun / affamé mort / 1859 - 1952 _
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[_DoN D’oRGANE : I_]
je m'assis sur le lit et j'entendis
tourner la clef | la cellule claire avait un air avenant | je me sentais bien à
l’abri et j’écoutais avec un sentiment de bien-être la pluie tomber dehors | je ne pouvais rien souhaiter
de mieux qu’une pareille cellule, si intime ! | mon contentement allait
croissant | assis sur le lit, mon chapeau à la [_MAIN_] , les [_YEUX_]
fixés sur la flamme du [_GAZ_] là-bas au mur, je me mis à repasser lescirconstances
de mes premiers rapports avec la police | car c’étaient les premiers, et comme
je l’avais roulée ! | tangen, journaliste, plaît-il ? | et
puis, morgenbladet ! | comme j’avais frappé l’homme droit
au cœur avec morgenbladet ! | ne parlons pas de [_çA_] , hein ? | resté au gala de la
présidence du conseil jusqu’à deux heures, oublié à la maison ma clef et un
portefeuille avec quelques billets de mille ! | conduisez ce monsieur à la [_SECTIoN RéSERVéE_] ...
soudain, le [_GAZ_] s’éteint
| avec une soudaineté surprenante / sans baisser / sans décroître | je suis dans
une obscurité profonde, je ne peux pas voir ma [_MAIN_] , ni les murs
blancs autour de moi, rien | il n’y avait pas autre chose à faire que de se
mettre au lit | et je me déshabillai
mais je n’avais pas sommeil et je ne
pouvais pas dormir | je restai étendu un moment, regardant l’obscurité, cette
épaisse et massive ténèbre qui n’avait pas de [_FoND_] et que je ne
pouvais concevoir | ma pensée était incapable de la saisir | il faisait sombre
au-delà de toute mesure et je sentais la présence de l’obscurité m’oppresser |
je fermai les [_YEUX_] , me mis à chantonner à mi-voix et me jetai de
côté et d’autre sur le grabat pour distraire ma pensée, mais sans succès |
l’obscurité avait pris possession de ma pensée et ne me laissait pas un moment
de répit | si je m’étais moi-même [_DISSoUS_] en ténèbres : si je ne
faisais plus qu’un avec elles ?
ma nervosité avait complètement pris
le dessus, et j’avais beau tout essayer pour la combattre, rien n’y faisait |
j’étais là, en proie aux plus étranges fantaisies, m’imposant [_silence_] à moi-même, fredonnant
des chansons de nourrice, suant des efforts que je faisais pour me calmer |
j’avais les [_YEUX_] fixés sur les ténèbres et de ma vie je n’avais vu
pareilles ténèbres | il n’y avait pas de doute, je me trouvai ici en présence
d’une sorte particulière de ténèbres, un élément insensé que personne encore
n’avait observé | les pensées les plus ridicules m’occupaient
et chaque chose me faisait peur | le petit [_TRoU_] dans le mur près de
mon lit m’occupait beaucoup : un [_TRoU_] de clou / j’imagine / une
marque dans la muraille | je le tâte, je souffle dedans et j’essaie d’en
mesurer la profondeur | ce n’était pas un [_TRoU_]
innocent, pas le
moins du
monde, c’était un [_TRoU_] vraiment suspect, un [_TRoU_] mystérieux dont je devais me méfier | possédé par l’idée de ce [_TRoU_] , complètement hors de moi, de curiosité et de terreur, je dus finalement sortir du lit et chercher ma moitié de canif pour mesurer la profondeur du [_TRoU_] et me convaincre qu’il ne pénétrait pas jusqu’à la cellule voisine
innocent, pas le
moins dumonde, c’était un [_TRoU_] vraiment suspect, un [_TRoU_] mystérieux dont je devais me méfier | possédé par l’idée de ce [_TRoU_] , complètement hors de moi, de curiosité et de terreur, je dus finalement sortir du lit et chercher ma moitié de canif pour mesurer la profondeur du [_TRoU_] et me convaincre qu’il ne pénétrait pas jusqu’à la cellule voisine
je me recouchai pour essayer de
m’endormir mais en réalité pour recommencer à me battre avec les ténèbres |
dehors la pluie avait [_CESSé_] , et je n’entendais aucun bruit | un temps durant je continuai à épier les
pas dans la rue et je n’eus pas de [_CESSE_] avant d’avoir entendu
passer un piéton, un agent à en juger par le son | subitement, je me mets à claquer des doigts
plusieurs fois de suite et à rire | c’était diablement drôle ! | ha !
| je m’imaginais avoir trouvé un mot nouveau | je me dresse sur [_MoN_SéANT
] et je dis : [_çA_] n’existe pas dans la langue, c’est moi qui
ai inventé [_çA_] : > kuboa > | [_çA_] a
des lettres, comme un mot | bonté divine, mon garçon, tu as inventé un mot … >
kuboa > … d’une grande importance grammaticale !
je voyais distinctement le mot
devant moi dans les ténèbres
j’en reste là, les [_yeux_] ouverts, étonné de ma
trouvaille et je ris de joie | puis je me mis à parler bas, car on pouvait
m’écouter et mon intention était de garder mon invention secrète | j’en étais
arrivé à la complète folie de la faim, j’étais vide et sans souffrance, et je ne
tenais plus les rênes de ma pensée | je réfléchissais [_silencieusement_] en moi-même |
avec les sautes les plus extraordinaires de raisonnement je cherche à
approfondir la signification de mon nouveau mot | rien ne l’obligeait à
signifier > dieu > ou > tivoli > et qui avait
dit qu’il signifiait > exposition de bétail > ? | je fermai
violemment le poing et répétai : qui a dit que cela signifie >
exposition de bétail > ? | en réfléchissant bien il n’était pas
même nécessaire qu’il signifiât > cadenas > ou > lever de
soleil > | à un mot comme celui-là il n’était pas difficile de trouver
un sens | j’attendrais, je verrais venir | entre-temps je pouvais dormir dessus
étendu sur mon grabat je ricane sans
rien dire ni me prononcer pour ou contre | quelques minutes se passent et je
deviens nerveux, le nouveau mot me tourmente sans répit, revient sans [_CESSE_] à ma pensée, finit par l’obséder et me rendre sérieux | je m’étais
fait une opinion sur les sens qu’il ne devait pas avoir, mais je n’avais pris
aucune décision sur le sens qu’il devait avoir | c’est une question
secondaire déclarai-je tout haut ! | le mot était trouvé, dieu merci !
| et c’était le principal | mais la pensée me tourmente sans fin et
m’empêche de m’endormir, rien ne me paraissait assez bon pour ce mot rare |
enfin, je me remets sur [_MoN SéANT_] , je me prends la tête à deux [_MAINS_] et je dis : non, c’est précisément là ce qui est impossible,
lui faire signifier > émigration > ou > manufacture de tabac
> ! | s’il avait pu signifier quelque chose dans ce goût-là il y a
longtemps que je me serais décidé pour ce sens, en prenant mes responsabilités
| non, à la vérité le mot était propre à signifier quelque chose de >
psychique > , un sentiment, un état d’âme … ne pouvais-je le
comprendre ? et je me [_creuse_]
la mémoire pour trouver quelque chose de > psychique > | alors il
me semble que quelqu’un parle, se mêle à la conversation, et je réponds
furieusement : plaît-il ? | non, comme idiot tu n’as pas
ton pareil ! | > laine à tricoter > ? | va-t’en au
diable ! | pourquoi serais-je obligé de lui donner le sens de >
laine à tricoter > quand il me répugnait tout particulièrement
qu’il signifiât > laine à tricoter > ? | c’était moi qui
avais inventé le mot et quant à cela c’était mon droit absolu de lui
donner n’importe quel sens | je ne m’étais pas encore prononcé que je sache…
mais de plus en plus [_MoN
CERVEau_] s’embrouillait | finalement je sautai à bas du lit pour chercher
le robinet | je n’avais pas soif mais j’avais la tête en fièvre et j’éprouvais
un impérieux besoin d’eau, un besoin instinctif | après avoir bu je me remis au
lit et pris la résolution de dormir, à toute force | je fermai les [_YEUX_] et
me contraignis à rester tranquille | je demeurai étendu plusieurs minutes sans
faire un mouvement, la sueur me prit et je sentais le sang battre violemment
dans mes [_ARTèRES_] | c’était tout de même impayable, c’était par trop
drôle qu’il ait cherché l’argent dans ce cornet ! | au fait, il n’a toussé
qu’un fois | je me demande s’il circule encore là-bas | s’il est assis sur mon
banc ? ... la nacre bleue … les navires …

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