_ par hugh lordmill _
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[_HISToIRE éTRANGE : I V_]
... et je poursuivais toujours mon rêve !
je
le voyais qui fuyait / là-bas | et je voulus courir après lui mais mes pieds
s’enlisaient dans le sable aride | et je le voyais fuir parmi l’air humide et
lourd
je
ne voulais pas qu’il s’échappe ! | alors, demeurant allongé, je regardai
mes orteils, et en fis des chevaux, tandis que mes gros orteils se
transformaient en éléphants à panaches et colliers de cuir serti d’or : on
partit à grande allure, dans un galop fou, et mes deux éléphants étaient plus
puissants et plus agiles que mes chevaux | mais, ceux-ci avaient au front de
grandes aigrettes d’or vert, d’un vert absinthe ou vert-syphilis, qui
s’accordait fort bien avec le vert de leur crinière, le vert de leur encolure,
le [_JauNE_] éclatant de leurs poumons, et le bleu sombre de leur langue pourrie de
cadavres | ils couraient ! et si vite que sur les rocs affreux du désert
j’eus peur soudain de m’écorcher jusqu’aux os : mes deux fesses se firent deux baleines / oh ... les gracieuses créatures ... | leur ventre rond était plus doux,
plus satiné, plus tendre qu’un ventre de femme | et leurs yeux ... ah !
ces yeux brillants / ce je-ne-sais-quoi
je
voulus en embrasser une, la plus jolie des deux : je le pouvais très bien,
quoiqu’elle fût dans mon dos : [_IL ME SUFFISAIT_] de me baisser | je pouvais
parfaitement embrasser mon omoplate si je le voulais ! | je le fis :
j’y trouvai un goût de miel d’acacia et un goût de pierre
un
goût de pierre ? ...
merde !
voilà que toute mon épaule gauche s’était muée en un grand édifice, et qui est
l’immeuble où j’habite | j’allai voir à ma fenêtre / et je me vis derrière cette
fenêtre, regarder, depuis l’extérieur, à l’intérieur de la même fenêtre | je
compris que mon rêve me jouait un tour et m‘envoyait un paradoxe : il
ricanait, au loin, ayant encore pris de l’avance ... | j’écroulai l’immeuble d’un
geste | mon épaule était un tas de ruines à l’envers et [_PARALLèLE_] au sol,
où poussait déjà du chiendent | mes cheveux se firent des fouets mais je
n’étrillai pas les éléphants, qui par leur luxe et leur gracilité méritaient
d’être ménagés | ils couraient !
je
regardai dans le lointain intérieur : chose aisée, puisque j’avais depuis
longtemps arraché mes paupières encombrantes, lourdes comme des globes de
marbre, et inutiles puisque de toute façon j’avais les yeux grands fermés
je
regardai dans le lointain intérieur : mon rêve fuyait toujours, mais la
distance se réduisait / heure après heure / millimètre après millimètre, dans un
galop effréné !
je
regardai dans le lointain intérieur : je vis, de moi à mon rêve, une
immense bande irrégulière et très noire, oblique / mais droite / mais,
oblique | elle épousait ma trajectoire de moi à mon rêve / ou plutôt, elle
formait une droite dont moi et mon rêve étions alternement tangents / ou même
mieux, nous formions tous des droites non [_PARALLèLES_] mais infiniment certaines
de ne pas se croiser, fouillis d’asymptotes !
derrière
mon rêve s’effilochaient des traînées bizarres : il s’agissait d’une
multitude de [_BULLES_] iridescentes | je pus en attraper une, et je vis que
c’étaient des [_BULLES_] d’horizons, des [_BULLES_] , avec à l’intérieur des horizons
entiers : celle que j’avais entre mon index et mon majeur se mit à
croître, à s’étirer, à se gonfler | j’y vis des mondes, des mondes |
j’y passai des heures, des années | et puis / elle éclata, en un millier
de cristaux qui miroitaient à l’infini des choses singulières / qui éclatèrent
eux aussi, en un million d’essaims de mouches dont je voyais les yeux animés
tous de sentiments et de desseins divers / et qui éclatèrent eux aussi, en un
milliard de grouillements de microbes voraces et qui malgré leur
inassouvissable faim avaient tous des pensées différentes ! | je regardai
d’autres [_BULLES_] : toutes se gonflaient, et puis éclataient, mais
diversement : ici, au lieu de cristaux il y avait des poings coupés,
fermés, et manifestement cruels | là, des peignes | là-bas, tous les
visages | et puis, des fournaises, des pis de vaches, des feuilles
d’arbres, des montagnes lunaires, et des langues bleues de cheval pourri …
quoi !
mes huit chevaux pourris avaient craché leur langue bleue, leur crinière verte
était tombée, et je voyais distinctement leurs poumons [_JauNES_] se dissoudre
d’effroi | mon rêve m’avait envoyé, avec un infaillible à-propos, la vieille
obsession : mes tibias s’étaient mués en chiens atrocement farouches, et
d’autant plus farouches que leur queue, qui étaient mes péronés tout plaqués
contre leur dos, n’avaient nulle autre apparence que celle de serpents infects
qui leur mâchaient le crâne | empaquetés dans la chair et sous la peau de mes
jambes, ces molosses se débattaient affreusement / suffoquant / au supplice |
et ils s’étaient imaginés de sortir de cette situation pénible en s’ouvrant une
issue dans mes talons qu’ils rongeaient / et qui étaient chacun les quatre croupes de mes quatre chevaux !
je
rentrai tout entier dans mes deux [_RoTULES_] | mes quadriceps me furent huit javelots d’inégale longueur dont je tuai mes huit chevaux, abrégeant leur
martyre de charognes | puis je pris ma bite et mes couilles, que je fis
tournoyer au-dessus de ma tête, jusqu’à ce qu’ils devinssent une masse d’arme
germaine du treizième siècle : ma bite était un manche solide et
lourd de bois cerclé de [_FER_] / mes deux couilles étaient quatre boules de [_FER_] hérissées de pointes de [_FER_] et accrochées à des chaines d’acier | je fis
tournoyer cette arme redoutable et déjà sanglante au-dessus de ma tête | le
serpent de gauche mourut sur le coup, de l’effroi que je lui causai | l’autre
était une vieille guivre aux lèvres encore désirables : elle voulut me
tenter, mais je la déchirai, avec beaucoup de joie et beaucoup de cruauté | j’emportai sa
bouche que je cachai dans mon cæcum, parmi d’autres trésors | mais, les
molosses enragés poursuivaient leur ouvrage dévorateur : seulement, je vis
de la terreur dans leurs yeux aveugles de taupes | alors ... alors pris de pitié / brisant
moi-même quelques tarses / et mes calcanéums / et dénouant les cordes de mes
tendons d’achille je leur ouvris un passage où s’enfuir : lorsqu’ils
tombèrent sur le sable brûlant et les rocs déchiquetés pour courir vers le [_NoRD_] , je vis de la gratitude dans le mouvement de balancier de leur queue
encore imbibée de mon sang ...
... et je poursuivais toujours mon rêve !














